« Mit jeder Welle kam ein Traum. Träume gehen vorüber... »
D'un geste rageur, Michael envoya valser son téléphone portable. Non, décidément, ce n'était pas sa semaine. D'habitude, il ne rechignait pas pour se lever, il adorait cela, même, puisque cela signifiait qu'il allait passer une journée de plus avec ses élèves. Des élèves qui pour la plupart adoraient l'allemand. Michael savait que très bien que pourtant, très peu d'entre eux avaient choisi de faire de l'allemand pour la langue en elle-même. En réalité, une part des élèves était là par obligation de leurs parents, qui ne voulaient pas qu'ils fassent espagnol, une autre part était là par choix et par envie et une dernière part, entièrement féminine, était là pour lui. A chaque fois que Michael pensait à cette dernière part, il riait. A seize ans, les jeunes filles sont bien naïves. Mais il s'était toujours posé cette question : pourquoi visaient-elles toujours dans les adultes ? Les jeunes de leur âge pouvaient tout aussi bien jouer de bons rôles dans leurs vies. Il ne lui était jamais arrivé de s'inscrire dans un cours pour pouvoir baver sur la prof, quand Michael était lui-même au lycée.

Après deux bonnes minutes passées à réfléchir à ce sujet, Michael se leva, en passant vigoureusement une main dans ses cheveux. Il regarda son réveil. On était mardi. Le mardi, le professeur d'allemand chéri de ses élèves ne commençait qu'à dix heures. Habitant à proximité du lycée, cela lui laissait au moins deux heures de temps libre.
Il s'habilla rapidement, enfilant un t-shirt blanc sous un gilet de costume. Il adorait s'habiller ainsi, avec une classe assez subtile, et d'enfiler un jean bleu, pour "casser le mythe", comme on pourrait dire. Alors effectivement, peut-être qu'en s'habillant ainsi, il attirait les regards admiratifs. Cependant, il le savait, il s'en rendait bien compte et ça ne le gênait pas du tout, au contraire. Néanmoins, il espérait que jamais au grand jamais une mésaventure trop grave le trouble dans sa vie de tous les jours. En travaillant tous les jours avec des adolescents, on finit par se comporter comme eux. Il ne voulait pas perdre son travail et mettre un terme à sa carrière, alors il se devait de faire attention à tout ce qu'il se passait devant lui et ne pas se laisser surprendre par une élève trop attentionnée.

En passant devant le miroir de la salle de bains pour se brosser les dents, il secoua la tête de droite à gauche. Pourquoi pensait-il à cela, dès le matin ? Son subconscient avait dû faire des rêves étranges, donc Michael n'arrivait pas à se souvenir, sûrement. C'était assez glauque, en plus. Toutefois, il n'était pas le premier homme qui devait faire face à cette situation et il ne serait certainement pas le dernier. Il n'avait donc pas de souci à se faire.
Une bonne dizaine de minutes plus tard, Michael sortit de chez lui, coiffé, bien habillé, et lavé. Il se dirigea alors vers le premier café qu'il croisait sur son chemin. A vrai dire, il n'avait pas eu le temps de faire des courses, et le café manquait, chez lui. Or, une journée qui commençait sans boire un bon café n'était pas une bonne journée, pour lui. C'était un véritable addict, malheureusement pour lui.

Alors qu'il poussait la porte du café, la tête baissée vers ses chaussures, il sentit une résistance. Il était en fait en train de percuter quelqu'un. Il n'eut pas le temps d'empêcher la collision, et le café de la personne en question vola sur elle. Mortifié, Michael releva les yeux vers la jeune femme qui lui faisait face. Il se recula immédiatement, percutant alors la porte, qui s'était refermée. La jeune femme ouvrit la bouche de surprise, puis baissa le regard vers son t-shirt, maculé de café. Son gobelet avait fini sa course par terre, renversant le reste de liquide noir sur le carrelage de l'établissement.

- Oh ! Je... Votre T-Shirt. Je suis navré.

Il se pencha jusqu'au comptoir et prit une poignée de serviettes en papier, qu'il tendit ensuite à la jeune femme pour qu'elle essaie un peu d'éponger le café sur son haut. Michael quant à lui, reprit une ou deux serviettes en plus pour éponger le café par terre. Il savait qu'il aurait pu ne pas le faire, mais étant de nature poli et serviable, il préférait nettoyer ses saletés, et ne pas laisser le travail à quelqu'un d'autre, qui n'était peut-être même pas payé pour faire cela.

- Pardonnez-moi. Je ne regardais pas où j'allais. Je vais vous repayer un café.

Michael releva la tête vers la jeune femme et lui offrit un sourire digne des plus grandes marques de dentifrice du pays. Il espérait qu'elle ne lui en voulait pas trop. Il se concentra soudainement sur ses traits. Son visage ne lui disait rien. Elle semblait plutôt jeune, alors il pensait qu'il aurait pu la croiser au lycée. Mais rien ne lui venait. Tant pis. C'est vrai que ça aurait été plus simple s'il avait su qui elle était.

Il sortit quelques dollars de son portefeuille et se rapprocha de la caisse, regardant une seule fois derrière lui pour voir si la jeune femme le suivait. Arrivé devant le caissier, il se retourna vers elle, le regard interrogateur.

- Que prenez-vous ?

La jeune femme restait plutôt silencieuse, et cela avait le don d'intriguer Michael. Après tout... il était normal, il n'avait pas de tâche sur lui, ni quoi que soit d'autre, alors... quel était le problème ? Elle pouvait parler, il n'allait pas la manger.

Alors qu'il sortait son portefeuille en lui demandant ce qu'elle prenait, la jeune femme - dont Michael ne connaissait même pas encore le prénom - s'approcha vivement de lui. Apparemment, la tâche sur le t-shirt ne semblait pas plus la gêner que cela. Elle l'avait regardée quelques instants, l'avait épongée, mais n'en avait pas fait toute une histoire. C'était d'ailleurs cela qui intriguait beaucoup Michael aussi. Une femme, en temps normal, crie, hurle, exulte, pour une futile tâche d'un millimètre carré sur un tissu qu'elle porte. Et là, c'était comme si la tâche n'existait pas, la jeune femme blonde n'en avait absolument rien à faire. Il y avait de quoi être étonné.

- Oh non, rien du tout, ce n'est pas grave et vous n'avez sûrement pas le temps. Je m'excuse aussi.

Michael sourit. En réalité, il s'attendait à une réponse comme celle-ci. Il ne pensait cependant pas qu'elle allait le planter là. Elle ramasser son sac, qui était tombé par terre avec le choc, et se dirigea vers la porte. Il la regarda faire, sans rien dire, juste de plus en plus surpris. Seulement, au moment où elle se retourna avant de véritablement sortir, Michael leva les yeux au ciel et la suivit.

- J'ai du temps. Je commence à dix heures. Laissez-moi vous payer un autre café. C'est important pour moi !

En effet, Michael détestait avoir des dettes, même envers les gens qu'il ne connaissait pas. Il trouvait que cela faisait vraiment mauvaise impression et il n'avait pas très envie de se créer une réputation exécrable non plus. En plus, cette fille l'avait payé son café, alors il lui devait bien ça. Après tout, le gobelet semblait plein.

- Alors ? Je nous prends quoi ? Noir ? Combien de sucres ?

Encore une fois, Michael lui offrit un sourire dont il avait le secret. Il avait toujours tout obtenu des gens - et qu'importe les gens que c'était - avec ce sourire. Sa dentition aidait, visiblement. Ça marchait à tout les coups, quand il était encore à Seattle. Il fallait juste qu'il sache si c'était la même chose à Charleston.

Michael sentait qu'il était bien parti pour réussir. Il avait juste la crainte que la jeune femme croie qu'il la draguait. Ce n'était pas du tout le cas. Elle devait avoir dans les vingt ans, et bien qu'elle soit très attirante, ce n'était pas vraiment l'âge des femmes que Michael fréquentait. Il était toujours plus âgé que ses petites amies, mais c'était d'un an ou deux. Maximum. Alors à moins que la jeune femme soit plus vieille qu'elle ne le laissait paraître, non, Michael ne lui faisait pas d'avances. Elle pourrait avoir l'âge de ses élèves !

Elle se rapprocha de lui alors qu'il lui demandait ce qu'elle allait prendre. Sa réponse fut des plus surprenantes. En effet, alors que Michael pensait qu'elle allait lui redemander un café, sa volonté fut toute autre :

- Non, merci. Pas de café, s'il vous plait... Mais comme vous insistez, je prendrais bien un thé glacé.

C'était assez étrange, bien entendu, parce qu'elle semblait presque dégoûtée, rien qu'en parlant de café. Mais alors, si elle n'aimait pas cela, pourquoi en avait-elle un à la main en sortant ? Mystère... Et Michael n'était pas sûr de pouvoir le résoudre. Alors que le jeune homme commandait un thé glacé et un café, elle reprit la parole.

- Vous aussi, vous êtes venu boire un café, je suppose ? Et encore une fois, désolé de vous faire perdre votre temps. Vous auriez pu profiter du beau temps dehors avec vos amis et votre café au lieu de rester ici à me payer un café que vous avez renversé par accident..., enchainais-je rapidement.

Michael rit un peu avant de faire un geste de la main, comme s'il voulait dire "Je m'en fiche !". A vrai dire, ses amis étaient à Seattle, encore. Il venait d'arriver à Charleston, il ne connaissait que ses collègues et encore, il ne les appréciait pas tous.

- Je ne suis avec personne ce matin. Je viens de me réveiller, et je n'avais tout simplement plus de café chez moi !

Il remarqua alors qu'elle serrait son sac, avec une certaine appréhension. Il avait l'impression qu'elle angoissait, or il n'y avait pas de quoi. Il n'allait rien lui faire. Après avoir bu son café, Michael se rendrait au lycée et attendrait que dix heures sonne en corrigeant des copies.

- Au fait, je ne me suis pas présenter. Je m'appelle Kate. Kate Owens.

Michael sourit puis lui serra la main. Une question idiote et vraiment sans intérêt lui vint à l'esprit. Kate, était-ce son prénom ou bien un diminutif ? Oui, il était comme ça. Toujours. Son esprit était réglé sur le mode aléatoire et lui jouait encore des tours. Néanmoins, il ne posa pas la question qui lui tourmentait l'esprit. Il se contenta simplement de lui retourner la politesse.

- Michael Silverstone mais appelez-moi Mike, c'est plus simple !

Les présentations étaient à présent faites et c'est à ce moment précis que leurs commandes arrivèrent. Michael s'empara du verre et du gobelet et montra d'un signe de tête une table libre, non loin de l'entrée. Kate accepta, évidemment elle n'eut pas beaucoup de choix, puisque c'était toujours lui qui tenait son verre. Ils s'assirent face à face et Michael posa les verres avec douceur sur la table. Il cala son cartable entre ses pieds pour éviter qu'il tombe et que les feuilles à l'intérieur ne se renversent et, devant cet acte, Kate le regarda d'un air... surpris, semblait-il.

- J'ai un million de dollars dans ma mallette. En fait je suis trafiquant d'armes. Non, je plaisante.. Je suis prof d'allemand au lycée. C'est beaucoup moins haletant !

En faisant cela, Michael espérait rassurer Kate, qui semblait encore nerveuse, pour une raison qu'il ignorait. Il détestait avoir l'impression d'être le grand méchant loup...

La blague de Michael fit son petit effet et il en fut plutôt fier. Son but était de détendre Kate. Apparemment, cela fonctionnait plutôt bien, de ce qu'il voyait. Elle riait, c'était un bon signe.

- Moi je suis une simple étudiante en Photographie. Mais vous êtes prof dans un lycée ... ? Comme je suis nouvelle dans la ville, je ne peux pas savoir si vous donnez des cours dans mon université ou pas..

Michael hocha la tête en signe de dénégation, mais Kate avait déjà détourné la tête vers la baie vitrée, en buvant un peu de son verre. Bizarrement, la jeune femme semblait triste. Nostalgique peut-être ; Michael n'arrivait pas à le définir. De plus, ce n'était pas ses affaires ; il n'avait pas à s'en mêler. Peut-être que sa détresse soudaine avait quelque chose à voir avec ce qu'elle regardait dans la rue. Mentalement, Michael se frappa. Il n'avait pas à vouloir s'immiscer dans la vie de Kate. En tout cas, il était sûr d'une chose : ce n'était sûrement pas à cause de son café renversé qu'elle était ainsi. Finalement, il se décida à lui répondre.

- Je trouvais seulement dans un lycée. Je ne donne pas de cours aux étudiants.

Michael sourit, puis but une gorgée de café, avant de reposer son gobelet en douceur sur la table. Il joignit ses deux mains devant lui, et reprit ensuite la parole.

- Ce serait certainement plus enrichissant pourtant !

Le jeune homme laissa échapper un petit rire. Les lycéens étaient bien trop concentrés sur leurs petites personnes pour être intéressants. En tout cas c'était l'impression que Michael avait à Seattle, pendant ses premières années d'enseignement. Ce n'était peut-être pas pareil à Charleston, mais il ne pouvait pas encore faire la comparaison. Et puis.. peut-être que c'était lui qui était inintéressant. Peut-être que sa pédagogie n'était pas adaptée aux élèves qu'il avait avant. Mais il pensait avec la plus grand conviction que c'est l'élève qui doit s'adapter au professeur, et non pas l'inverse. Parce que chaque enseignant ne peut pas s'adapter à chaque élève. C'est techniquement et humainement impossible. Les hommes ne sont pas des machines.

Perdu dans ses pensées, Michael posa les yeux sur une femme qui venait de passer la porte d'entrée du café. Il la suivit du regard. Elle devait avoir une quarantaine d'années, devait travailler dans une banque ou dans le siège d'une firme multi-nationale, et devait avoir un emploi du temps très souple et plutôt libre. Quand Michael se rendit compte de ce qu'il était en train de faire, ses pensées divaguèrent de nouveau pour revenir à leur point de départ : à quoi pensait Kate pour faire cette tête ? La quadragénaire se retourna vivement et le fusilla du regard. Il haussa les sourcils et reporta toute son attention sur Kate, par peur de s'en prendre une. Aussitôt, il reprit contenance et se remit à parler.

- J'ai l'impression que quelque chose ne va pas... j'ai raison ?

Avec cette question, il ne donnait aucune obligation à Kate de parler. Si elle ne voulait rien partager avec Michael, elle n'était pas obligé de le faire.

Quand Michael ajouta que travailler avec des étudiants plus âgés que des lycéens serait sûrement une expérience enrichissante, Kate renchérit.

- Oui, c'est sur. Surtout si vous aimez votre travail...

Michael la regarda quelques instants. Elle semblait réfléchir, elle aussi. Mais Michael n'était pas prêt à changer encore. Il venait à peine d'avoir son diplôme - enfin, cela faisait plusieurs années, mais c'était encore un jeune dans la profession - et il s'installait pour de bon dans les emplois de lycée. Alors à la limite, quelques cours par-ci par-là à quelques élèves plus âgés... mais rien de plus. Il n'était pas formé pour cela, et il n'allait jamais s'y habituer de toutes façons. Michael ne baissait jamais les bras et était travailleur, mais il savait également reconnaître qu'il ne pouvait pas réussir quelque chose quand un obstacle était trop haut. Exactement comme un cheval qui refuse de sauter un oxer.

Puis, Michael lui demanda si tout allait bien, quand il remarqua qu'elle semblait ailleurs, et que son humeur semblait changer. La jeune femme releva la tête vers lui, et le regarda pendant quelques instants dans les yeux. Sur ce coup là, Kate ne pouvait pas lui mentir. En effet, Michael était peut-être un jeune prof, mais il avait tout de même plusieurs dizaines d'élèves à charges par jour et il savait comment les jeunes d'aujourd'hui se comportaient. Ils n'aimaient pas exposer leurs sentiments. Surtout pas aux adultes. Et pas non plus aux inconnus. Mais Michael ne lui demandait surtout pas de tout raconter, comme ça. Il voulait simplement savoir si elle allait bien, et, dans le cas où non, elle n'allait pas bien, en effet, elle pourrait lui parler si elle le souhaitait.
Au bout d'une bonne minute, la jeune étudiante se racla la gorge et reprit la parole. Elle avait la voix rauque et Michael ne fut pas surpris d'entendre ce qu'elle lui dit alors.

- Non, tout va bien ! Pourquoi ça n'irai pas ?, dis-je en souriant.

Cependant, même si cela ne le surprenait pas, il ne voulut pas en savoir plus. C'était ses affaires à elle. Et il ne devait pas intervenir. Cependant, Kate baissa de nouveau la tête et Michael vit qu'elle n'allait vraiment pas bien. Alors, sa question prenait tout son sens : Pourquoi cela n'irait pas ? Qu'est-ce qui faisait qu'une jeune femme comme elle pouvait être triste à ce point ?

- En fait... je ne crois pas que vous alliez très bien. Si vous voulez m'en parler... n'hésitez pas, Kate !

Michael lui fit un petit sourire quand elle releva les yeux vers lui. Il détestait voir les gens plus bas que terre, et ce n'était pas du tout pour savoir les raisons de ce mal-être qu'il disait cela... c'était simplement parce qu'il voulait se rendre utile.